Je suis issue d’un peuple qui aime sa langue morte comme une maîtresse aime son amant, de ce même amour pénible et violent qu’on ressent pour une passion évanescente ou pour toute autre chose qui n’est pas à nous. L’amour, le vrai, n’existe que dans la fragilité. Les yeux que posent les maîtresses sur leurs amants contiennent mille fois plus d’amour que n’en contiendront jamais les yeux des femmes pour leurs maris. Les peuples défaits et les maîtresses aiment leur langue et leur homme de ce même amour agonisant, mêlé d’espoir et de désespoir.
Une jeune femme attend son amant. Il est plus vieux qu’elle. Il est marié. Il vient la voir quand bon lui semble et la quitte ensuite. Elle n’est que la maîtresse. Pendant qu’elle l’attend, elle lit. Annie Ernaux ou Roland Barthes, Françoise Sagan ou Marguerite Duras. Mais surtout Hubert Aquin, Prochain épisode. Et la taraude cette question obsédante : comment expliquer cette propension qu’ont un peuple et certaines filles à plonger la tête la première dans un merdier ? À s’abîmer dans des rêves auxquels eux-mêmes ne croient pas ?
Elizabeth Lemay donne ici un premier roman dérangeant, provocateur, qui pose une interrogation radicale sur l’amour, sa nature, sa fonction.