Anahareo fut la compagne d’Archibald Belaney, alias Grey Owl, sans doute le plus connu des « fautochtones » du Canada. Si ce cas d’usurpation d’identité est en grande partie racheté, aux yeux de la postérité, par l’importance capitale de l’œuvre d’environnementaliste de Belaney, on connaît moins bien Anahareo, née Gertrude Bernard, et le rôle crucial qu’elle a joué dans la conversion de ce trappeur en protecteur des espaces et des espèces sauvages. Autochtone d’ascendance mohawk, capable de « manier une hache aussi bien qu’un bâton de rouge à lèvres », comme l’écrivit Grey Owl, elle le suivit du nord de l’Ontario jusqu’aux solitudes de l’Abitibi, où, quelque part sur un lac de l’immense nord-ouest québécois, elle le persuada d’épargner et d’adopter les deux petits castors qui allaient bouleverser leur existence.
En 1938, après la mort de Belaney et le dévoilement public de la supercherie de ses origines, Anahareo prit la plume à son tour, afin de se réapproprier une histoire qui est aussi la sienne. Les épisodes qui figurent dans ce livre, telle la fascinante incursion d’une Mohawk de vingt ans accompagnée de son louveteau apprivoisé dans les rues boueuses et bordées de cabanes d’une ville-champignon appelée Rouyn, ou encore son escapade au pays des prospecteurs, où elle passera tout un hiver à guider des traîneaux à chiens au cœur de l’océan de neige qui s’étend entre Oskélanéo et Chibougamau, sont ici racontés en français pour la première fois.
Anahareo, dans ces pages, n’incarne pas seulement une femme remarquablement indépendante pour son époque. Elle y fait aussi preuve d’un grand talent de narratrice pour faire revivre, avec verve et humour, sur ce territoire que nous redécouvrons dans ses traces, une aventure incontournable des lettres nordiques et autochtones.