Dans la vie et dans l’œuvre de Gabrielle Roy, les années 1947-1950 marquent un véritable tournant. Après le succès sans précédent de Bonheur d’occasion, qui apporte richesse et célébrité à la jeune romancière, celle-ci traverse une « crise » artistique qui l’amène à concevoir un second livre radicalement différent du premier. La Petite Poule d’Eau incarne en effet le rêve de recommencer le monde, de retrouver un monde intact et pur, vierge de tout conflit, à l’opposé de l’univers déchiré qu’elle vient de mettre en scène.
Alain Roy avance ici l’hypothèse que cette expérience, loin de représenter un simple changement de manière, constitue l’une des préoccupations majeures de l’œuvre et peut-être même sa loi profonde : l’étonnante rupture entre les deux premiers livres de la romancière, plutôt que de s’accomplir une fois pour toutes, serait en fait sans cesse rejouée par la suite, comme si résidait en elle le principal moteur de l’écriture chez Gabrielle Roy, la source du conflit créateur ayant présidé à l’élaboration de son oeuvre.
Cette superbe étude illustre les manifestations de ces enjeux existentiels et esthétiques tout en proposant une vision plus complexe, parfois même inattendue, de l’œuvre de Gabrielle Roy. Le lecteur pourra voir s’y dessiner, dans une sorte d’autobiographie en plusieurs tableaux, l’histoire d’une jeune amoureuse qui, au fil de ses affrontements avec la vie, finit un jour par se vouer tout entière à la littérature.