Peu d’écrivains français ont donné des romans dont l’action se déroule au Québec. On songe bien sûr à Louis Hémon, mais c’était un autre Québec, celui du XIXe siècle.
C’est ce qui fait tout le prix de Noli, de l’écrivaine française Béatrix Beck, paru en France en 1978 mais jamais repris au Québec. Lauréate du prix Goncourt 1952 pour Léon Morin, prêtre, dernière secrétaire d’André Gide, amie de Nathalie Sarraute et de Robert Pinget, Béatrix Beck appartenait au cercle éminemment germanopratin gravitant autour du Nouveau Roman, tout en y occupant une place périphérique. Au milieu des années 1960, elle accepte de venir donner des séminaires sur la littérature française contemporaine dans quelques universités canadiennes, dont celles de Québec, de Montréal et de Sherbrooke. Elle y découvre alors un monde qui la stupéfie, celui de la Révolution tranquille, où les cornettes des religieuses côtoient les chemises à carreaux des révolutionnaires en herbe dans les salles de cours. Où tous ces bons catholiques se prononcent résolument pour l’égalité des sexes, et où tout le monde semble fasciné par la psychanalyse et la dynamique de groupe, dont les animateurs sont bien sûr d’anciens curés.
Au-delà du plaisir de chercher à reconnaître les êtres et les lieux derrière les pseudonymes dont la romancière les affuble (seraient-ce Jeanne Lapointe et Anne Hébert, les deux amies inséparables qui occupent une place centrale dans le roman?), Noli nous invite à un étonnant voyage dans une société dont nous n’avons peut-être pas encore mesuré la radicale originalité. Surtout, Béatrix Beck y pratique une écriture de l’amour qui s’inscrit dans la grande tradition du roman français, celle de l’Adolphe de Benjamin Constant, ou encore, bien sûr, celle de Stendhal, qui fut le premier, et le plus grand, à décrire ce processus de « cristallisation » qui explique tant l’amour que le désamour.