Et là, pour la première fois depuis ma naissance, j’étais vraiment fier de moi. Devant l’entrée du Palais des nations à Genève, le lac Léman en face, je ne pouvais m’empêcher de penser que j’aurais aimé que ma mère et mon père soient vivants pour me voir. J’aurais aimé avoir un téléphone et appeler quelqu’un. Pour dire : « Moi, Marc Vachon de Saint-Henri à Montréal, fils de personne, regardez ce que je suis devenu !» Je pensais à ma fille. Je ne marchais pas, je volais. Le passeport onusien est sans doute la plus belle chose que l’homme ait imaginée. Pas de couleur, pas de race, pas de religion, une planète, un monde. C’est le symbole de cette utopie de paix qui ne peut pas marcher. Mais ça reste magistralement beau.Voici une histoire vraie. L’histoire d’un héros de notre temps.
Marc Vachon naît à Montréal, en 1963. Sa mère l’abandonne à la naissance. Il est ensuite ballotté d’un foyer nourricier à l’autre. Il connaît l’injustice dont les faibles sont toujours victimes, dans quelque société que ce soit. Il connaît tout ce que la vie dans nos pays « développés » offre de plus terrible : la violence, l’abus, le vide.
Il y oppose la seule réponse possible. Celle de l’évasion, des drogues, du crime. Il devient un « pourri », comme il le dit.
Jusqu’au jour où, fuyant une situation intenable en Amérique, il fait par hasard à Paris la découverte de Médecins sans frontières. Dès lors, il met au service de cette cause le même instinct de survie qu’il a acquis dans la rue, la même façon de se défoncer pour oublier la douleur, pour ne pas regarder en arrière. Il se rend indispensable, et très vite il devient le logisticien de choc de MSF. Celui qui peut déplacer des montagnes, celui qui sait commander le respect, celui qui n’a peur de rien ni de personne, celui qui peut construire des abris pour des dizaines de milliers de réfugiés en un temps record.
Le voici en même temps « condamné à voir » une autre misère que celle qu’il avait connue jusque-là. « Ces scènes-là je les avais vues à la télévision, et comme tout le monde, j’avais choisi de changer de chaîne. » Toujours la loi du plus fort, toujours l’horreur sans nom qui est le lot des plus faibles.
Il devient en même temps un aventurier qui semble renouer avec les façons de faire de sa jeunesse. Il prend un malin plaisir à falsifier des papiers pour passer des camions en contrebande à la frontière kurde, ou se livre au trafic des Harley-Davidson à Bagdad. «Mais au lieu d’être un chevalier noir sur une Harley noire à Montréal, j’étais un chevalier blanc sur une Harley blanche en Irak. »
Les missions se succèdent : l’Irak, après la première guerre du Golfe, le Mozambique, le Soudan, Sarajevo, le Rwanda, où il est témoin des conséquences d’un génocide et ne peut qu’être scandalisé par l’inaction de certains hauts gradés militaires qui se cachent derrière une obéissance formelle aux ordres.
Car l’humanitaire est aussi un lieu où s’exerce le pouvoir. Et Marc Vachon ne pourra jamais se soumettre à ce pouvoir, qui est toujours synonyme d’injustice. Cela l’amène à livrer ici une critique décapante et fascinante de l’aide humanitaire, ou du moins de la façon dont on la pratique désormais, à l’âge de l’information-spectacle.
En rupture avec Médecins sans frontières, Marc Vachon continue avec d’autres organismes à donner un toit à des gens qui n’en ont pas en Afrique, en Asie, comme en Europe.
Ce récit à la première personne raconte la victoire sur le destin d’un individu et le combat inachevé qu'il mène contre l’injustice, pour le respect, pour la dignité. C’est un combat qui se moque des bons sentiments et de la rectitude politique, un combat au corps à corps, ainsi que Marc Vachon a appris à se battre dès l’enfance.
Voici l’histoire d’un héros comme il y en a trop peu aujourd’hui.
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l'article paru dans Le SoleilLire
l'entrevue accordée au Devoir