La génétique, l'informatique, les neurosciences et ce que certains nomment déjà la bionique sont porteuses d'un avenir prodigieux tout autant par ses promesses que par ses périls. La technique exerce désormais une fascination sans rivale sur nos sociétés. Le risque paraît grand qu'une telle ivresse ne dissimule un affaissement du sens moral, or il n'y a de civilisation possible que dans l'équilibre entre la puissance qu'engendre le savoir et la sagesse nourrie par la réflexion éthique.
Daniel Jacques entend montrer ici que notre puissance technique doit être assujettie à la compassion, compassion pour nos semblables, mais aussi compassion pour tous les vivants qui nous accompagnent. Il nous faut entrer dans le règne de la technique par la voie la plus humaine. Autrement dit, suite au déclin du christianisme et de l'humanisme classique, il ne nous reste, pour fonder l'humanisme – à la marge du discours que tiennent les sciences naturelles sur l'homme, devenu mi-machine, mi-animal – que cette expérience brute du mal qui se trouve au cœur du XXe siècle, soit le génocide des Juifs d’Europe. D'une certaine manière, ce gouffre moral, cet abîme d'inhumanité, nous tient lieu de révélation, la seule révélation qui puisse encore nous guider dans le grand œuvre technique auquel nous semblons destinés. Par-delà le devoir de mémoire qui nous rattache à cet événement, la compassion représente un don d'humanité qu'il nous faut apprendre à préserver au moyen d'un langage nouveau.