Les morceaux de glace contre la paroi. Le chuintement des lèvres suçant la paille, aspirant le rhum comme l’eau d’un rince-bouche dans le fauteuil du dentiste. Ta tête inclinée au-dessus du verre, happée par l’alcool. L’odeur des feuilles de menthe par-dessus celle, tenace, de la crème solaire écran total. Le chapeau de paille glissait sur ton crâne, tu le repoussais négligemment du poing, en cow-boy désenchanté. Le geste était posé, lent, mais suscitait en moi colère et froideur, crissement de verre brisé.
Ils sont en vacances au Mexique. L’alcool coule comme une source infatigable. Elle regarde l’homme qui l’accompagne. Son corps nécrosé, sa clairvoyance embuée par l’alcool.
Elle se souvient de celui qu’il a été, de la fascination qu’elle éprouvait pour lui. Elle se souvient du brillant intellectuel toujours entouré d’une cour, de leurs discussions infinies baignées dans la fumée des gitanes.
Elle se souvient de la répression qui a succédé à l’euphorie de Mai 68. Elle se souvient des bouteilles vides retrouvées sous le lit, des humiliations, de la honte. Elle se souvient des ecchymoses qu’elle n’arrivait plus à cacher sur son propre corps.
Brigitte Haentjens consigne ici la chronique du naufrage d’un homme, d’un couple, de toute une génération.