À Constantza, à mesure que l’on descend vers le port, au milieu de l’odeur du kébab, on passe devant des bistrots à quatre sous, des clubs de strip-tease, une mosquée où retentissent les échos de la prière. On aperçoit la mer Noire qui brille au loin au bout de la ruelle du Vent. Sous nos pas gît encore la ville grecque, l’antique Tomis. Partout, ses pierres rongées par le sel et brûlées par le soleil ne demandent qu’à surgir du sol.
C’est là qu’Alexandru et Anda se donnent rendez-vous pour s’aimer. Entre le père et la fille se joue une tragédie vieille comme le monde, la malédiction d’un sang qui se dévore lui-même. Qui ne recule devant rien, ni le meurtre ni la damnation, pour posséder l’objet de sa passion.
Irina Egli rend à merveille la lumière étrange qui baigne la côte de la Dobroudja. Elle évoque toute une humanité — Anda la vénéneuse, Ioana l’actrice, Vera la femme trahie, Ahoe le poète ivrogne, Sonia qui a tout vécu — à laquelle seule une terre à l’histoire aussi riche pouvait donner naissance. Ils sont venus de Transylvanie ou d’ailleurs, sans trop savoir pourquoi, poussés par les guerres ou par la peur, n’emportant avec eux que les histoires de leur famille et quelques photos jaunies. Ils vivent de petits trafics et de poésie, de désespoir et de vin.
Grâce à une prose à l’extraordinaire pouvoir d’évocation, elle donne vie à la déchirante figure d’Alexandru, cet homme qui erre dans son désert en interrogeant le visage des femmes qu’il aime et qui, comme autant de sphinx, refusent de lui livrer le sens de son existence.
«Le récit d'Irina Egli a la vigueur de muscles bandés. Les dialogues sont directs, lourds de non-dits. Ils claquent comme des balles dans l'air oppressant de cette terre salée, qui, au-dessus des drames humains grands et petits, continue son chemin dans l'histoire, sa terre rongée plus riche et comme nourrie sans doute de l'éphémère souffrance des hommes innombrables qui, quelques jours ou quelques décennies, ont foulé son sol.»
Florence Meney, Radio-Canada
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critique complète de Florence Meney de Radio-Canada Lire la
critique de Mathieu Simard parue dans Le Libraire