Un écrivain peut adopter la fiction, l’essai ou l’autobiographie, cela le concerne ; tant que la forme et le fond s’accordent et que le monde est abordé depuis la singularité d’un style, on reste dans le domaine de l’art, c’est-à-dire de la représentation.
Le « journal » qu’on lira dans ce livre n’est pas un vrai journal : il est le moyen dont l’écrivain a usé, parmi de nombreux autres, pour exprimer le plus fidèlement possible une vérité qui autrement serait restée tue. Chaque entrée de ce journal, chaque paragraphe, chaque ligne, chacun de ses nombreux retours dans le temps et chacune de ses digressions ont été soupesés, médités, pensés comme les morceaux d’un ensemble organique.
Le texte doit donc être lu comme une oeuvre unifiée, comme une cosmogonie où les observations répondent aux sensations, les sensations aux souvenirs, les souvenirs à l’intuition poétique, l’intuition poétique aux sentiments. Il raconte l’expérience d’une métamorphose, au cours d’une année décisive où toutes les années vécues auraient pour ainsi dire resurgi. Mémoire blessée découlant tantôt du passé national, tantôt du passé intime, qui place l’héritier seul face à son destin.
L’auteur, ici, parle sérieusement : il met sa vie et son nom en jeu, et le fait à visière levée. À quelle noblesse outragée puise ce duel féroce entre l’individu et la communauté, entre l’aspiration à la beauté et la fatalité de l’Histoire, il faudra attendre jusqu'à la toute dernière ligne pour vraiment le comprendre, et en juger.