Depuis que j’ai cessé de recourir aux ressources de l’imaginaire, je n’emprunte plus d’autre voie que celle-là, plus confidentielle et convenant au survivant que je suis.
Ainsi s’ouvre ce sixième livre de carnets personnels d’André Major, ceux qu’il a tenus entre 2008 et 2014. Après avoir peu à peu renoncé à ses ambitions romanesques, il a fait de la pratique du carnet le cœur de sa vie d’écrivain, une manière de ne jamais perdre le fil de son existence, d’être à la fois dans le monde et hors du monde. Depuis la chambre où il se retire pour écrire, il enregistre avec soin ce qu’il lui semble devoir retenir de la vie de tous les jours, à commencer par ses nombreuses et précieuses lectures, mais aussi le paysage nordique qu’il ne se lasse jamais de contempler durant ses promenades autour de son chalet dans les Laurentides.
Le paradoxe de ces écrits de la pénombre, enveloppés dans l’atmosphère de la journée déclinante que suggère le titre Entre chien et loup, c’est qu’ils disent d’une part le sentiment d’absence au brouhaha social, qui est de plus en plus évident avec l’âge, et d’autre part l’attention accrue aux œuvres, aux arbres, aux oiseaux, aux choses et aux êtres qui sont chers à l’écrivain. Dans une prose toujours aussi sobre et délicate, le carnettiste se détache de tout ce qui inessentiel et poursuit son dialogue avec lui-même comme avec ses fidèles lecteurs. Rares sont les œuvres qui, avec une humilité admirable, parviennent autant que celle-ci à s’élever à la hauteur de l’expérience humaine la plus simple et la plus universelle. « Le pari du mélancolique, note-t-il au passage, n’est pas tant d’accepter son mal-être que de se tenir à l’écart du monde tout en demeurant à son écoute. »