Pourquoi donc, aujourd’hui, lire un portrait intellectuel d’Edmond de Nevers (1862-1906) ? Serait-ce parce que, de l’avis de Fernand Dumont, «il est le penseur québécois le plus important de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et peut-être jusqu’à la guerre»? Serait-ce que ce grand intellectuel maintenant largement oublié inaugure avec une hauteur de vue exceptionnelle le nationalisme canadien-français ? Serait-ce parce que sa vie, dans ses louvoiements, ses errements et ses tâtonnements, nous permet de mieux saisir les difficultés auxquelles était confronté le peuple canadien-français à l’heure où, disait-on, celui-ci entrait dans une phase nouvelle de son existence ? Serait-ce parce que, de toutes les oeuvres de cette période, celle d’Edmond de Nevers est non seulement l’une des rares à se tenir par elle-même et en elle-même, mais qu’elle fut en constant dialogue avec quelques-uns des plus puissants courants ayant agité la fin du XIXe siècle : romantisme, symbolisme, impérialisme, antidreyfusisme, messianisme ? Serait-ce enfin parce que nous pouvons suivre à travers les pérégrinations de l’intellectuel canadien en Allemagne, en France, au Canada et en Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire de la Baie-du-Febvre à Central Falls, les repères et les réseaux de l’élite francophone de l’époque ?
Dans ce portrait intellectuel, Jean-Philippe Warren a voulu emmêler pensée et itinéraire biographique dans un constant chassé-croisé. À mi-chemin d’une biographie au sens strict et d’une analyse minutieuse de l’oeuvre, il s’agit ici, d’abord, de rendre vivante une oeuvre qui, en son temps, a paru d’une formidable audace. Qui était Edmond de Nevers? À cette question pourtant toute simple ce livre ne peut apporter que quelques éléments de réponse tant l’homme présente d’énigmes et échappe à toute catégorisation facile.